Plus fin qu’Hugo Chávez, Courrier International, 24/09/2009

Publié le par Anaïs

 

http://www.courrierinternational.com/article/2009/09/24/plus-fin-qu-hugo-chavez

 

Rafael Correa (à droite) en compagnie d'Hugo Chávez lors d’un meeting à Quito en août 2008.© AFP/Rodrigo Buendia

Rafael Correa (à droite) en compagnie d'Hugo Chávez lors d’un meeting à Quito en août 2008.
© AFP/Rodrigo Buendia

 

A l’époque où l’Equatorien Rafael Correa faisait campagne pour être élu président de la République, une journaliste lui avait demandé : “Qu’est-ce qui vous a marqué dans la vie ?” Et il avait fait cette réponse : “J’ai eu une enfance très difficile, il y a des événements qui m’ont marqué pour la vie et dont je préférerais ne pas parler.” Et on ne l’a plus jamais entendu parler de son enfance. Depuis qu’il est au pouvoir, il se refuse à aborder le sujet. Un jour, lors d’un de ses rendez-vous radiophoniques du samedi, il a même fait expulser un journaliste qui voulait l’interroger sur sa famille.

Mais, avec le temps, on a fini par en savoir un peu plus, Correa ayant accepté d’évoquer certains de ces événements dont il préférait ne pas parler. On sait maintenant que, lorsqu’il avait 12 ans, sa petite sœur Bernardita, de onze mois sa cadette, est morte noyée ; peu après, leur père a été condamné à cinq ans de prison aux Etats-Unis pour y avoir introduit de la drogue ; enfin, à l’époque où il faisait ses études universitaires, son père fut retrouvé pendu dans la maison familiale. Ce dernier – qui se prénommait lui aussi Rafael – appartenait à une famille aisée, propriétaire de l’hacienda la plus prestigieuse de Los Ríos [province du centre-ouest de l’Equateur], dont le salon était fréquenté par les intellectuels de la région. Mais il avait quitté le foyer alors que Correa n’avait pas plus de 7 ans, et sa mère avait dû élever seule ses quatre enfants en vendant des repas. “Elle rentrait si épuisée qu’elle égrenait son chapelet debout pour ne pas tomber de sommeil”, se rappelle Fabricio, le frère du président.

Ce passé familial douloureux, à en croire certains, aurait fait de lui “un complexé social”. Un éditorialiste d’un journal de Quito explique : “Cela se sent à la manière presque pathologique dont il parle des riches. Il raconte souvent qu’à la fin de l’année scolaire tous ses camarades de classe partaient pour leurs maisons au bord de la plage, à Salinas, tandis que lui devait rester à vendre des sandwichs.” D’autres s’opposent à cette interprétation. Correa, expliquent-ils, est vraiment sensible au sort des pauvres. “Il incarne un personnage de justicier, il cristallise les désirs de revanche d’une société qui, comme celle de l’Equateur, a toujours rejeté la faute sur les autres.” Mais ce serait une erreur de réduire Rafael Correa à cette facette de sa personnalité. Et ceux qui estiment qu’il est taillé sur le même modèle qu’Hugo Chávez se trompent également. Correa est un savant dosage de gauchiste – à la mode latino-américaine des années 1970 – et de technocrate. Encore aujourd’hui, il aime chanter en public, en s’accompagnant à la guitare, des airs de nueva trova cubaine, notamment la célèbre chanson Hasta siempre, dédiée à Che Guevara. Et il termine bon nombre de ses discours par un théâtral “Hasta la victoria siempre” [Jusqu’à la victoire, toujours]. Mais, d’un autre côté, c’est un maniaque de l’efficacité – et de la ponctualité –, avec un goût marqué pour la technologie. A tel point que bon nombre de ses ministres sont tombés parce qu’ils n’avaient pas réussi à tenir leurs objectifs. Lorsqu’il a besoin de contacter un membre de son gouvernement, il le fait par visioconférence. C’est un bourreau de travail : il donne des rendez-vous à 6 heures du matin, boit du Red Bull et, quand il quitte le palais présidentiel, à 1 heure ou 2 heures du matin, il rentre à vélo à sa résidence privée, située à environ 8 kilomètres.

Rafael Correa est le président qui a le plus marqué son pays depuis un demi-siècle. Au terme d’une carrière météorique – moins de six cents jours passés dans des fonctions ministérielles –, il a conquis la présidence, avant de proposer la formation d’une Assemblée constituante destinée à changer entièrement la structure de l’Etat équatorien. Ce souverainiste accompli a par ailleurs réussi à chasser les militaires américains de la base de Manta [en juillet 2009].

Correa n’est pas arrivé au pouvoir par les chemins de la politique, mais par ceux du monde universitaire. Il a commencé à s’en approcher en donnant des cours d’économie une fois par semaine au vice-président Alfredo Palacio – celui-là même qui allait devenir président en 2005, après le renversement de Lucio Gutiérrez par des mouvements de protestation. La première chose que fit Palacio fut de nommer au ministère de l’Economie Correa, qui, resté à ce poste trois mois seulement, entreprit quand même de profondes réformes (comme l’élimination du fonds de stabilisation des ressources pétrolières, qui, d’après lui, favorisait les détenteurs de la dette publique) et se battit avec les organismes internationaux. Ces trois mois lui ont conféré une aura d’enfant prodige et de leader charismatique. Lorsqu’il quitta le ministère, près de 200 partisans l’attendaient, scandant “Correa président”.

En tant que technicien, il assure que la dollarisation de l’Equateur est une calamité, mais explique en privé pourquoi il ne fait rien pour s’y opposer. “Le président qui renoncera à la dollarisation tombera. Et moi, je ne suis pas suicidaire à ce point.” En campagne, il a toujours dit qu’il ne rembourserait pas la dette extérieure, mais il est récemment revenu sur sa décision. Selon Grace Jaramillo, du centre d’études FLACSO [Faculté latino-américaine des sciences sociales], le refus initial de Correa de rembourser la dette pouvait être considéré comme “un stratagème pour gagner du temps et faire perdre de la valeur à la dette”. Il aurait ainsi fait économiser près de 7 milliards de dollars à l’Equateur.

Correa s’est toujours situé à gauche, sans pour autant avoir fréquenté les milieux traditionnels de la gauche équatorienne. Il se définit lui-même comme un humaniste chrétien, non comme un marxiste. Son intérêt pour l’action sociale est né chez les scouts, où il a milité pendant près de vingt ans, ainsi que dans des groupes de catéchèse qui sont devenus à la mode en Equateur dans les années 1970, autour du projet du théologien de la libération Mgr Leonidas Proaño. Par la suite, à l’université, Correa a fait partie d’un groupe de cette tendance dirigé par Gustavo Noboa (alors professeur, qui devait prendre la tête du pays entre 2000 et 2003) et pour qui les Indiens étaient la base du changement. Correa, à la fin de ses études, est d’ailleurs allé vivre un an parmi les autochtones les plus pauvres, sur les flancs du Cotopaxi, à 3 600 mètres d’altitude.

Très logiquement, dès sa première rencontre avec Hugo Chávez, Correa fut enthousiasmé par le discours bolivarien du président du Venezuela. Les deux présidents s’apprécient particulièrement. Et l’on peut noter des similitudes dans leurs styles respectifs. Certains attribuent à l’influence de Chávez l’habitude qu’a prise Correa d’attaquer ses ennemis à coups de plaisanteries et de surnoms moqueurs ou d’épithètes injurieuses pour amuser le peuple. C’est ainsi qu’il a inventé le mot “pelucón” [emperruqué] pour épingler les riches (par allusion aux perruques de la cour de Louis XVI) et qu’il parle de “ce cloaque qui a pour nom Congrès national” pour fustiger l’establishment politique du pays.

Correa a cependant toujours essayé de garder ses distances avec Chávez, en particulier en refusant d’adhérer à l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA), l’union régionale fondée par le président vénézuélien. Reste qu’il a récemment changé d’attitude en annonçant, à la surprise générale, qu’il “ferait avancer le socialisme du XXIe siècle” [une formule qui fait référence au projet bolivarien d’Hugo Chávez] et en déclarant qu’il accepterait – contrairement à ce qu’il avait toujours dit – de faire entrer l’Equateur dans l’ALBA. Pourquoi ce revirement ? Certains pensent que c’est la rancœur contre le président Uribe qui a fini par jeter Correa dans les bras de Chávez.

Quoi qu’il en soit, la carrière politique de Rafael Correa est entrée dans une nouvelle phase : non seulement il vient d’entamer un deuxième mandat [il a été réélu à la présidence le 10 août dernier], mais il a pris une nouvelle stature internationale en assumant [depuis le 28 août] la présidence de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR). Cela ne l’a pourtant pas empêché de reculer dans les sondages. En trois mois, il est passé de 59 % à 40 % d’opinions favorables, selon l’institut Market. Cette chute est très certainement la conséquence du scandale politico-financier dans lequel a trempé son frère Fabricio [celui-ci aurait décroché des contrats avec l’Etat pour une valeur de 80 millions de dollars]. Rafael Correa a certes affirmé ne pas être au courant des malversations de son frère et il a très vite réagi en faisant résilier tous les contrats douteux ; il n’en reste pas moins que son image est écornée. Parviendra-t-il à retrouver l’estime de ses compatriotes ?

Publié dans Equateur

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